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Textes Tunisiens


-1

Je cherchais en vain la cause, le filon, la veine qui empêche les peuples.
Ce beau pays à la chair d'oiseau, avec sa langue roulante, accusait lui aussi
un empêchement au bonheur. Comme si être était trop.
Comme s'il y avait une justification meilleure et plus viable à paraître en souffrance.
Malgré cela et, sans doute parce que j'y suis rôdé, je trouvais tout merveilleux : oui c'était merveilleux d'être encore en vie avec les couleurs de ce monde, sous le vent rouge et sableux, d'une texture si fine
qu'il semble une main, une grande main douce avec des doigts de fil, des articulations de coton fibreux allant dans le pourpre ou le safran, une main suivie de bras immenses et parfumés, des bras généreux
qui tendent une peau meilleure. Ainsi j'avais la sensation précise que mon corps entier remontait dans
mes narines et que cette odeur qui était mienne se transmutait par la marche et parvenait au point
exact du rêve de moi-même. Etait-ce cet ami fameux, cet ami mort que j'avais quitté en venant à
cette vie ? Etait-ce une sorte de sublimation de sa perpétuelle absence que les effluves remontaient
en chair jusque sous le vent ?

Et ces grandes montagnes cisaillées au couteau de poche, prêtes à sombrer, ne portaient-elles pas sa jeune barbe verte ? La couleur étale de la mer me regardait enfin, mais pas un mot, pas un chant qui eussent pu m'indiquer quelle route prendre. Toutes les routes avaient été jetées comme mercure sur ce lit de marbre, baves d'un escargot curieux et sommaire. Je marchais sur la croûte du monde, sur un couvercle où je sentais en profondeur des poches crevassées qui avaient conservé jalousement le bonheur. Oui, ce fameux bonheur que toute civilisation recherche. Mais les civilisations en elles-mêmes n'existent pas, seul existe l'homme et l'homme face à la peur se dédouble, se triple. Sa culture est comme le serpent chinois, ondulant de mille morts, riant par-devant, infini par derrière, ne donnant aucun signe qu'inexorable démission, production automatique de la parfaite conscience, reflet de papier, enseignement par le vide de l'ignorance. Voilà ce que je pensais devant la route.

Sur la mer deux ou trois bateaux lourds transportant quelque chose, des denrées utiles. Le monde des humains n'est pas fatigué de faire la même chose. L'essentielle occupation est donc l'humain, rien d'autre. La pensée ne trouve pas de rebond, un jeune écho, elle s'arrête là, dans les boutures et les mangeons, gangrenée de gourmandises et de curiosités. Cette pensée depuis longtemps aussi sèche que la terre d'en haut.

Quand je regardais le sol, la qualité du sol, rien ne présageait cela. Mais le sol était absolument pacifique et avait tout le temps. Les hommes commençaient à peine à en égratigner le voile. Terre d'oignons bondissants, tu es débonnaire. Toi-même tu es un oignon bondissant. Tous les actes et toutes les pensées sont tes rides qui disparaîtront aux premiers frémissements de ton dos. Un dos si rond que tu brosses sans cesse.

Je voyais des hommes et des femmes et ils avaient leur destin dans le dos. Même de face ils étaient de dos. Ils s'éloignaient très vite, je ne voyais que leurs dents dans la nuit rapide, n'entendais que leurs ongles et le feulement courbe de leurs pensées. Alors le marbre restait impavide et désert. C'est pour cela que j'aimais la pierre. La pierre est une femme porteuse d'hommes bredouilles. C'est aussi son charme à l'homme, cette permanente défaite. Mais il n'y a qu'une mère pour voir ça. La grande bonté fait que toutes les mères sont borgnes. Elles ont gardé un oeil à l'intérieur et l'autre acquiesce tout le temps.

C'est donc dans les environs de Tunis que je quittai les routes et les travaux publics. Je savais que je n'entendrais plus aucun chant, que je ne verrais plus aucun feu, ne prendrais plus aucune décision qui ne me brûleraient complètement.

Terre d'anges, pays de membres rougis à la chaux, ici la nature a un goût intrinsèquement violent. La douceur, c'est après, c'est dedans. Rien ne prête à une consommation solitaire qui soit satisfaisante, il faut être au moins nombreux.




-2

Faucilles dans le regard, sauterelles sonores, j'entends encore leurs rires à ces hommes d'ambre qui marchent avec le vent. On dirait que leurs habits sont devant, que ce sont les couleurs, l'harmonie insolente de leurs couleurs, qui précèdent leurs vêtements. Ils marchent, on dirait qu'ils ne savent pas. Ils n'ont pas de temps pour cela. Ils ne soupçonnent même pas que je le pense. Ils ont d'autres choses à faire, bougonner, faillir, déjeter. Occuper leurs pas. Aller.

Le soir ils vont vers l'ouest, là le vent n'a presque pas de goût justement. Ici la nature ferme la bouche,
elle est si précise, libérée de plaire ou de ne pas plaire, elle est seule. Comment la vivre ? Quoiqu'il fasse, l'homme a perdu l'ignorante majesté. Alors la mer et le vent taillent la montagne, ils écrivent de longs discours devant et font des signes ronds et cursifs dans un ciel si vide qu'on se sent transparent. La terre les remange. Les hommes d'ambre se courbent pour voir dedans. Ils ne regardent pas la terre. Ils le font d'avant. Ils ne communiquent pas à l'horizontale et cela, je l'ai bien compris puisque je l'ai compris tout de suite, ils sondent, ils ovalisent et cherchent seulement. Il faut que j'insiste sur l'importance du nombre car c'est dans le nombre que se précise le ventre alors que, chez nous, le nombre n'est qu'une lignée sèche et de plus en plus en phase de dessèchement, et le ventre un ailleurs, un au-delà alors qu'ici il est dedans et le nombre dedans. Les nuages ne sortent pas du même côté. La montagne les avale par en dessous. Il n'y a rien à faire ni pour ni contre cela. L'occident est sans avènement. Au nord maintenant tout se voit, tout pèse, et il n'y a jamais eu d'intelligence, de bonté, de révélation dans le monde. Les grandes baleines merveilleuses possèdent encore l'inexploré. Qu'elles bougent à peine et tout sera renvoyé de côté.

Culture de cavernes qui dégueule sur les murs son grand oeuvre piteux. Au-dessus des crânes laiteux il n'y a pas de ciel, que des pensées repeintes, toujours pleins qu'ils sont de certitudes mammaires et de mots que je n'écrirai pas pour ne pas salir l'espoir de la partition.



il faut commencer par chaque mot
regarder le travers
l'opiniâtreté
et le correcteur efficace
tout ce qu'on sait écrire se passe
on dessine on fait des projets
des gestes en moins
à demain
on écrit toujours dans la vie
et les livres ont le goût de la tendresse
ce goût chaud qu'est le vivre
non je ne t'ai pas vu
et je n'y crois pas
mais dans l'espace restant je t'entends
je n'emploie que des mots usuels
manque-t-il un s alors que je le sens
et là je sais le mettre
où faire le signe adjacent
ah les mots savants me tiennent
je désapprends toujours
je m'excuse tu apparais tu la lis tu es fait
désir têtu les cheveux dans la soupe





-3


Longtemps j'essayai de percevoir les rouages de cette terre car la nôtre n'est qu'angles, alors que celle-ci tourne sans cesse et qu'on y assiste à chaque instant à quelque miracle. Sur cette partie de terre tout est rondeur. Ce soir la lune est encore pleine, un joueur de darbouka la tient entre ses cuisses, ses mains, comme des palmes, y font naître nuages et oiseaux, un homme sain au nez d'aigle laisse évaporer de ses lèvres une mélodie minimale qui est l'ombre d'une fontaine, autour chacun porte son masque neuf, un masque inusable qui ne se porte que les jours de fête. Une jeune fille se concentre. Un beau jeune homme courbe la tête. Un homme, un père sûrement, se tient de profil, la pensée ovale. Une femme seule se dandine. Les sourires de partout ajoutent un anneau à tous les visages. Nous sommes là en cercle. Qui honore-t-on ? La musique est le ciel. Posée sur une chaise comme le trophée de quelque guerrier qui aurait emporté son visage, d'elle, il ne reste que les yeux et un corps inutile au port simple dont les formes ne sont que le phare d'une lumière d'ailleurs qui passe à peine entre ses cils. Une autre a des dents faites de lait ou de nacre. Chacun est dépositaire d'un trésor absolu. Ce que je dis est vulgaire car il y a tout ce que je n'ai pas encore vu. Su saisir ! Au loin, mais pas si loin, la lune tourne. La plus jeune des filles, qui nous fait vaguement penser à hier ou à demain, suce son pouce. Celui qui ne dit jamais rien sourit et c'est bien. Tout cela dans le bleu d'une nuit soulevée avec nos coeurs. Elle descend dans notre bouche. Plus profond, je ne peux pas. Alors je reviens, là où ça se partage.



Pour Amine, Zied et Iassine - octobre 2001 ñ Tunis
M.H. Lamande

 

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Installations, performances ou fims triptyques -
les pièces "optophoniques"du collectif wild shores
sont autant de fragments d'évidences collectés,
partagés puis rassemblés en compositions audiovisuelles .

Elles célèbrent l'expérimentation sensorielle
et sollicitent, en chacun, une faculté de compréhension instinctive,
poétique, personnelle, sans concept .

Leurs particularités stimulent une acuité difficilement normalisable
qui réagit à une pulsion psychoactive primitive .

Elles suggèrent plus qu'elles n'imposent
des champs de lectures métaphoriques
et d'écoutes "métaphoniques"
où l'individu est bienvenu .

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